Le Royaume de Siam ne devint officiellement la Thaïlande ( la terre de Thaïs, le « peuple libre » ) qu'en 1939 et Bangkok sa capitale en 1782 sous le nom de Rattanakosin ( bijou d'Indra ) ou plus souvent Krungthep ( cité des Anges ). C'est en 1782 que fut fondée par Chao Phraya Chakri, Yot Fa ( Rama 1er ) la dynastie des Chakri à laquelle appartenait le roi Mongkut ( Rama IV ), que rencontra Henri Mouhot, et le roi actuel Bhumibol Adulyadej ( Rama IX ).
Jusque là, Sukhotai ( XIIIème siècle ) et plus tard Ayuthaya ( XIVème siècle ) se succédèrent comme capitales du royaume.
La longue période du Royaume d'Ayuthaya, avec ses 36 rois et ses 5 dynasties, fut une « ère commerçante » pour l'Asie du Sud-Est. Centre économique et politique de la région, Ayuthaya tirait ses richesses du commerce maritime ( par le fleuve Menam - Mère des Eaux -, Chao Phraya actuel ) et marqua le début d'une relation avec le monde occidental.
« Bangkok, ville toute moderne, a succédé comme capitale du royaume de Siam à deux autres cités qui, elles mêmes, ne remontent pas à une haute antiquité : Ajuthia [ Ayuthaya ] et Nophaburi [Louvo ou Lopburi ] » p. 23.
Lopburi est l'une des plus anciennes villes de Thaïlande; elle fut, en fait, une ville frontalière de l'Empire Khmer et déclina avec l'essor de Sukhotai; elle devint néanmoins la seconde capitale au cours de la période Ayuthaya.
Or donc, Bangkok, que les Thaïlandais appellent encore souvent Krunthep. Son nom complet étant : « Krunthep mahanakhorn amorn rattanakosin mahintrayuthaya mahadililokphop noparatrachathani burirom udomrachaniwet mahasatharn amornphimarnavatarnsathit sakkatattiyavisanukamprasit. Ce qui signifie : Cité des êtres célestes, grande ville, résidence du Bouddha d'émeraude, ville imprenable du dieu Indra, grande capitale du monde, ciselée de neuf pierres précieuses, ville heureuse, généreuse, dans l'énorme palais royal semblable à la demeure céleste, règne du dieu réincarné, cité dédiée à Indra et construite par Vishnukarn » ( note de la page 23).
Aujourd'hui c'est une ville de 6,3 millions d'habitants et le cœur économique d'un pays où le tourisme représente 6% du PIB. Sa population est majoritairement thaï dont 14% tirent leur origine d'ascendance chinoise; le quartier chinois ( China Town ) est d'ailleurs le centre névralgique du « commerce de gros ».
Elle a été en avril et mai dernier, le théâtre de violents affrontements entre les Chemises rouges et les Chemises jaunes. D'un côté, les tenants d'un retour de l'ex Premier ministre Thaksin Shinawatra qui propose un régime démocratique libéral en opposition au gouvernement actuel représentant la monarchie constitutionnelle jugée par les premiers comme trop conservatrice.
Le calme est revenu à Bangkok mais n'est-ce pas le calme avant la tempête ?
Le Roi Bhumibol Adulyadej, âgé de 83 ans, vénéré comme un demi-dieu par une grande partie de la population est très malade et tout le monde se prépare à sa disparition. Reste le problème de sa succession qui sera déterminante pour l'avenir du pays. ( voir le Monde Diplomatique de juillet 2010).
La ville historique est située sur la rive est du Chao Phraya. Au delà de la gare principale Hualamphong, au nord et à l'est de la voie ferrée ,s'étend le nouveau Bangkok. Siam Square est le quartier des centres commerciaux, les centres financiers sont installés autour de Th. Silom ( Th pour thanon qui signifie indifféremment route, rue ou avenue ), entre le fleuve et le parc Lumphini, tandis que le quartier chinois s'articule en un labyrinthe de soi ( ruelles ) tissé à partir de Th. Charoen Krung, qui fut la première rue pavée de Bangkok.
« Les environs de Bangkok sont, à perte de vue, aussi plats que les polders de Hollande. La ville elle-même repose sur un archipel d'îlots vaseux que le bras principal, ou thalweg, du Ménam, découpe en deux sections. Celle de droite n'a guère droit qu'au titre de faubourg, car les huttes du peuple, les jardins et les marais y dominent. Les pagodes et les demeures des grands y sont rares. Sur la rive gauche du fleuve, au contraire, la ville proprement dite, entourée de murailles crénelées et flanquées de loin en loin de tours et de bastions, couvre un espace de deux lieues de circuit. Entre les deux sections, des milliers de boutiques, flottant sur des radeaux, s'allongent sur deux rangs en suivant les sinuosités du fleuve, que sillonnent en tous sens d'innombrables embarcations. L'animation qui règne sur les eaux est la première chose qui frappe le voyageur pénétrant au sein de cette capitale par la voie du Ménam. Bientôt son attention est attirée par la vue des palais royaux et des pagodes projetant dans les airs, au dessus de l'éternelle verdure de la végétation tropicale, leurs flèches dorées, leurs dômes vernissés, leurs hautes pyramides sculptées à jour, découpées en guipures et reflétant les rayons du soleil, et toutes les couleurs du prisme sur leur revêtement de cristaux et de porcelaine. Cette architecture des Mille et Une Nuits, la variété infinie des édifices et des costumes, indiquant la diversité des nationalités groupées sur ce point du globe, le son incessant des instruments de musique et le bruit des représentations scéniques, tout cet ensemble est, pour l'étranger, un spectacle aussi nouveau qu'agréable au premier abord. » p. 21
Quand on a une vue panoramique de Bangkok, le tableau que nous en que peignait H. Mouhot est très proche de la réalité contemporaine. Le Chao Phraya est toujours une voie de communication très active. Les longs convois de plusieurs grosses péniches tirées par de petits remorqueurs descendent le fleuve en charge et souvent remontent à vide; les vedettes, canots rapides et ferries composent un ballet diurne incessant. Les pagodes étincelantes et les palais royaux ponctuent l'aire urbaine de leurs ors et de leurs couleurs chatoyantes. En revanche, les marais ont été asséchés, les buildings y ont poussé comme des champignons et, à perte de vue, ce n'est plus qu'architecture audacieuse et moderne sous une « coupole » jaunâtre de pollution, sauf pendant la saison des pluies.
Bangkok est, de par sa situation géographique, une espèce de plaque tournante vers les autres pays du Sud-Est asiatique. Cette position en fait un lieu de passage obligatoire pour tous les voyageurs.
Dans le quartier de Banglamphu, non loin du palais du roi et du fleuve, Th Khao San, devint dans les années 1970, le point de ralliement des routards. Quelques échoppes et deux ou trois guesthouses leur permettaient de trouver gîte et couvert bon marché. Les Thaïlandais l'ont très bien compris et en proposant là ce qu'on ne trouvait pas ailleurs, ont su habilement tirer profit de la situation. Le bouche à oreilles suivi des guides de voyage ont fait le reste.
Cette courte rue est devenue au fil des années le rendez-vous de tous ceux qui aiment à retrouver leurs « repères culturels » au cours de leur périple asiatique : restaurants où l'on sert des repas occidentaux, télévisions grands écrans avec films américains ou retransmissions sportives ( en l'occurrence, la coupe du monde de football ), boutiques à souvenirs, tous les faux possibles et imaginables depuis les Ray Ban jusqu'aux diplômes universitaires en passant par Gucci et les permis de conduire, duplication de CD et de DVD, musiques assourdissantes, fausses ou vraies femmes akkhas vendant du pseudo artisanat ethnique, alcools et gogo girls pour « fêtes » à volonté ... j'en passe et peut-être des meilleures ... bref tout ce qui permettra de se sentir exister et d'épater les copains au retour ... comme à Patpong , quartier « chaud » (prostitution, cabarets, strip tease, etc ...) plutôt fréquenté par les tours organisés, un ghetto d'excès et de chaos ... Khao San ...
C'est aussi le lieu où l'on peut, grâce à une multitude d'agences de voyages, se procurer les visas étrangers et acheter les billets d'avion, de train ou de bus pour aller plus loin.
Des dizaines de cyber cafés proposent l'accès internet et les communications téléphoniques très bon marché.
Étape incontournable entre îles paradisiaques ( rave parties, ecstasy etc...) et « aventure organisée » dans les montagnes du nord, entre Laos, Vietnam et Cambodge, Khao San est sans doute l'un des lieux les plus emblématiques d'une certaine forme de culture hédoniste qu'on veut imaginer sans limite. Du coup on oublie facilement de respecter les cultures différentes dans lesquelles on évolue, en témoignent les tenues vestimentaires trop souvent trop dénudées ...
Un réseau de transport en commun très efficace quadrille la capitale secondé par un service de vedettes et canots rapides qui desservent les deux rives du fleuve et un tout récent métro aérien ( sky train ). Un autre réseau, de canaux ( Khlongs ), permettait de circuler en bateau de quartier en quartier, mais la concurrence des transports automobiles l'a finalement détrôné et quelques rares tronçons sont encore opérationnels. Les khlongs, désertés, sont trop souvent devenus des égouts à ciel ouvert dégageant malheureusement des odeurs plutôt agressives.
Bus, taxi , tuk tuk, motos taxis, motos, scooters et automobiles particulières sont pris presque en permanence dans une toile d'embouteillages gigantesques; le bruit et les gaz d'échappement sont les deux nuisances auxquelles un piéton ne peut guère échapper et qu'exacerbent les fortes chaleurs ( 35 à 45°C ) du début de la saison des pluies ... le calme revient tard dans la nuit mais ce n'est qu'une trop courte trêve ...
« En outre ici, autre impression étrange : pas de bruit de voiture ni de chevaux; pour vos affaires ou vos plaisir, vous êtes obligés de descendre ou de remonter la rivière en bateau. Bangkok est la Venise de l'Orient; on n'y entend que le bruit des rames, celui des ancres, le chant des matelots ou les cris des rameurs, qu'on nomme cipayes. La rivière tient lieu de cours et de boulevards, et les canaux remplacent les rues. Un observateur n'a de choix dans ce pays qu'entre deux positions : s'accouder à son balcon, ou glisser mollement sur l'eau, couché au fond de son canot ». p.21
Pris dans le tumulte de la ville aujourd'hui cette réflexion fait rêver ...
Bangkok ne s'apprivoise pas facilement, à moins que ce ne soit elle qui vous apprivoise ... Au premier abord, c'est généralement un sentiment de répulsion qui apparaît. Cet excès de bruit et de pollution met très vite les nerfs à rude épreuve. Il faut du temps et de la patience pour commencer à se sentir un peu plus à l'aise.
D'abord il faut bien en maîtriser la géographie, mémoriser les noms des quartiers et des grandes artères de circulations qui pulsent comme celles d'un être vivant monstrueux. Puis, se familiariser avec les différents types de transport en commun, sachant que la majorité des Thaïs ne parlent pas l'anglais et encore moins le français ...
Alors, il ne reste plus qu'à se lancer, en affrontant ce qui, à priori, paraît insurmontable et, petit à petit, comme on apprend à déceler les nuances dans la complexité des arômes des vins d'une bonne cave, on finit par aimer et comprendre cette mégapole extrêmement active, moderne et traditionnelle à la fois. Chaque quartier, chaque lieu nous réserve des surprises.
Aux parfums suaves des frangipaniers s'opposent les relents d'égouts et de poubelles trop souvent débordantes malgré un service de ramassage régulier; les fragrances d'encens et d'épices se superposent en strates indistinctes aux odeurs de poissons séchés ou de préparations culinaires, piments qu'on fait sauter dans le wok et dont le piquant nous prend à la gorge, arôme délicat des lychees ou émanation nauséabonde du durian, autant de contrastes qui exacerbent parfois notre odorat sensible d'Occidental ...
Polychromie des fleurs, des fruits et des légumes sur les étals des marchés, incroyable « caverne d'Ali Baba » du quartier chinois où l'on trouve de tout, portraits du Roi et de la Reine partout en ville, bannières jaunes ( couleur royale et du clergé ) flottant au vent, robes oranges ou ocres des moines omniprésents, immeubles ultra modernes de béton et de verre s'opposant aux temples ( wats ) chatoyants et aux flèches dorées s'élançant vers le ciel, vieux quartiers à l'architecture sino-occidentale où s'activent mille et un petits métiers ... tout attire notre regard et suggère une nouvelle visite...
Au détour d'un méandre de soï ( ruelle ), on débouchera sur une aire dégagée où sont préservés de grands arbres sûrement centenaires ... partout les maisons colorées des esprits ( phii ) permettent le culte des ancêtres ... les bandes d'écoliers, de lycéens ou d'étudiants aux couleurs de leurs écoles chahutant après les cours ... des varans qu'on croise dans un parc ou dans la rue, tai chi ou aéobic ... à chaque passage à Bangkok je fais de nouvelles découvertes et ne me lasse jamais de me perdre dans l'incroyable diversité bangkokienne ...
Mais tard dans la nuit, loin des quartiers trop animés, lorsque la ville commence à s'endormir après une bienfaisante pluie d'orage et que dominent les cris des margouillats, des geckos et les chants des grenouilles, l'apaisement nous envahit enfin et Bangkok peut redevenir la Cité des Anges.